« L’entreprise réseau » doit développer son intelligence relationnelle !

« L’entreprise réseau » doit développer son intelligence relationnelle !

Par Jacques Marceau, président d’Aromates, expert à la Fondation Concorde
publié le 7 septembre 2017 dans Le Monde

De tous temps, les échanges entre les individus, les entreprises ou les Etats se sont fondés sur des relations rendues propices par la confiance réciproque. Relation et confiance sont ainsi les deux attributs indissociables non seulement de toute économie mais encore de toute vie politique ou sociale. Une architecture relationnelle que Paul Valéry qualifie de « structure fiduciaire1 », une toile tissée de relations de confiance qui forment, pour Valéry, « l’édifice de la civilisation2 ». Un édifice que, de son côté, Michel Maffesoli compare à une cathédrale gothique dont la croisée du transept est comprise « comme un processus de correspondance (…) qui rappelle ce qui unit l’homme à son environnement social et naturel. Le Principium relationnis prenant la suite du principium individuationis3 ». Une idée que développe dès le XIIIème siècle Saint Thomas d’Aquin en affirmant qu’« un seul homme ne pourrait pas, par lui même, s’assurer les moyens nécessaire à la vie » et qu’« il est donc dans la nature de l’homme qu’il vive en société »4.

 

Ecosystèmes complexes

Dans le monde connecté qui est aujourd’hui le nôtre, les interdépendances se sont multipliées au sein des organisations sociales comme au sein des entreprises. La mondialisation des échanges associée à l’avènement de l’internet contribue en effet à transformer les entreprises en des écosystèmes complexes et de plus en plus déterritorialisés. Des écosystèmes qui évoluent eux-mêmes dans des « macrosystèmes » structurés par les Lois et la réglementation des Etats dans lesquels ils opèrent ou, ce qui est nouveau, par les contrats qui les lient à des géants mondiaux en situation de quasi-monopole et qui sont ainsi parvenus à imposer leurs propres normes et régulations.

Ainsi, l’entreprise hier encore définie par ses implantations physiques comme l’usine, l’entrepôt, le comptoir ou le bureau, s’est aujourd’hui dématérialisée pour devenir un réseau organisé à partir d’un système d’information et construit autour d’une identité forte incarnée par une marque.

 

Le produit, objet communicant

Mais la transformation de l’entreprise ne s’arrête pas à celle de son organisation et de ses processus car elle touche le produit lui-même. Un produit qui se mue en objet communicant, c’est-à-dire capable de capter et de transmettre des données qui vont impacter non seulement la nature de son usage mais encore sa relation avec l’utilisateur, jusqu’au modèle économique de l’entreprise quand cette dernière est en mesure de valoriser les données ainsi collectées. C’est ainsi que, connectée, l’offre va se déplacer dans la chaîne de valeur, sa dimension physique devenant de plus en plus banalisée et où importera toujours davantage la personnalisation et les fonctionnalités offertes par sa « couche logicielle ».  Un déplacement de la valeur qui oblige dorénavant les industriels à, dans le même temps, repenser leur modèle économique et se lancer dans une course à l’amélioration continue de la relation avec leurs clients sous peine de voir captée cette dernière par des plateformes hégémoniques, phénomène aujourd’hui bien connu sous le vocable « d’ubérisation » 5.

Quant à l’intelligence artificielle nourrie et « éduquée6 » par des milliards de milliards de données issues des objets connectés elle permet aux firmes qui les détiennent et les traitent de prédire l’intention de l’utilisateur ce qui change radicalement l’économie industrielle et rend en particulier caduque la génération artificielle de la demande par les techniques traditionnelles du marketing et de son avatar, la publicité. Une inversion des lois du marché qui place dorénavant le client, en tant que « producteur de données », à la source de tous les processus, de la conception à la distribution du produit.

 

Développer « l’intelligence relationnelle »

Ce changement de paradigme qui fait que l’ « entreprise-réseau » peut désormais s’exonérer du marketing au sens traditionnel mais exige, en contrepartie, le développement de son « intelligence relationnelle », à savoir un relationnel structuré avec chacune de ses parties prenantes à l’aide de puissants réseaux de communication et d’influence. S’il fallait une démonstration de cette évolution, il suffit d’observer les pratiques des GAFAs américains qui ont su faire de l’intelligence relationnelle le socle de leur stratégie de conquête. A cet égard, chacun pourra faire le constat de l’absence presque totale de publicité de ces géants américains du net dans les grands médias traditionnels et, parallèlement de leur omniprésence dans les lieux de pouvoir, notamment et pour ce qui nous concerne, dans les couloirs de la commission européenne quand ce n’est pas sur le perron de l’Elysée !

Dans une économie hyper-régulée, mondialisée et, de surcroît, numérisée, les lois du marketing qui avaient cours à l’époque de la prédominance industrielle et de l’avènement de la société de consommation ne sont de toute évidence plus adaptées aux nouvelles générations d’entreprises ou à celles qui ont entrepris leur transformation. Hier encore considérées comme l’adjuvant des campagnes de publicité ou simple outil de communication institutionnelle, les relations publiques’imposent aujourd’hui non seulement comme l’un des piliers de toute stratégie d’entreprise mais encore comme celui de leurs modèles économiques futurs.

  1. Paul Valéry, « La Politique de l’Esprit », cité par Pierre Musso, « La Religion Industrielle », page 113, Fayard 2017
  2. Ibid
  3. Michel Maffesoli, « Ecosophie », Les Editions du Cerf, 2017
  4. Saint Thomas d’Aquin, définition de la « Royauté », cité par Pierre Musso, « La Religion Industrielle », page 139, Fayard 2017
  5. Jacques Marceau, « L’industrie 4.0 sonne-t-elle le glas de la société de consommation ? », La Tribune, 12 août 2016
  6. Laurent Alexandre et Nicolas Bouzou, « L’intelligence artificielle, ce tsunami », Le Figaro, 8 août 2017

Article original sur Le Monde