Banque : un autre cadre réglementaire face aux GAFA

Banque : un autre cadre réglementaire face aux GAFA

Jacques Marceau, président d’Aromates et Thibault Verbiest, avocat associé chez DS Avocats
3 octobre 2017

Les banques risquent de se faire happer par les géants du Net. Il faut adapter la législation et libérer la capacité d’innovation du secteur bancaire.

Alors que les Français entretiennent depuis des temps immémoriaux de lointains et parfois tumultueux rapports avec leurs banques, Google, Amazon, Facebook et Apple sont devenus, en seulement quelques années, leurs compagnons les plus intimes. Un rapport complexe qui puise de toute évidence ses racines dans une méfiance qui confine à l’aversion de ces derniers vis-à-vis de l’argent : « Une triste nécessité » pour Stendhal, « Mon seul adversaire » dira de Gaulle, ou « qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes » clamera François Mitterrand.

D’ailleurs, et pour preuve, que le salarié d’une banque qui ne s’est pas fait allumer à propos de son métier dans un dîner en ville lève le doigt ! C’est ainsi que beaucoup de Français, et parmi eux, nombre de décideurs politiques, n’aiment pas les banques et voient dans leur possible disruption une chance historique de se débarrasser de cet ennemi héréditaire qu’est la finance. C’est dans ce contexte de persistance des affects et d’une défiance profondément ancrée dans l’inconscient français que s’engage la transformation à haut risque de notre secteur bancaire.

Frein à l’innovation

Nouveaux moyens de paiement, explosion du crédit participatif, mise en oeuvre de la DSP2, la banque française rentre en effet aujourd’hui dans le dur de sa transformation numérique. Une transformation jusqu’à présent freinée par une puissante régulation, justifiée par la dimension stratégique de l’activité bancaire et de ses impacts sur tous les autres secteurs de l’économie. Une régulation que l’on a d’ailleurs eu tort de considérer comme une protection contre l’irruption de nouveaux acteurs tant les phénomènes de mutations numériques sont puissants et pénétrants.

Conscientes de ce défi, les grandes banques françaises se sont lancées dans d’ambitieux programmes de transformation associant politique d’acquisition de start-up et de technologies à une refonte de leurs organisations et de leurs offres. Une transformation cependant entravée par la rigidité de cette même régulation qui, associée à l’augmentation des obligations prudentielles, ne leur permet pas de lutter à armes égales avec de nouveaux entrants qui, eux, s’en affranchissent.

Les banques courent ainsi le risque, qu’à terme, la captation de la relation client et de la valeur qui en découle par des start-up susceptibles d’être rachetées à prix d’or par les géants du web, ne débouche sur leur disparition au seul profit de ces derniers. Sans parler de l’hypothèse d’une déferlante des Gafa dans le domaine des services financiers dont les incursions dans le domaine des moyens de paiement ne sont de toute évidence que les prémices.

Perte de souveraineté

Une ubérisation loin d’être comme les autres car elle engendrerait, de toute évidence, une significative perte de souveraineté des Etats européens, les géants en question étant, comme chacun sait, soit américains, soit chinois. Une perte de souveraineté dont les conséquences pourraient être considérables car elle pourrait aller jusqu’à mettre en péril ce que Paul Valéry qualifiait de « structure fiduciaire », une toile qui forme « l’édifice de la civilisation ».

La mondialisation des échanges associée à l’avènement de l’internet a contribué à transformer les grandes banques en des écosystèmes complexes et de plus en plus déterritorialisés.

Sans aller jusqu’à affirmer que le destin de notre civilisation est associé à celui de ses banques, on peut néanmoins imaginer qu’une perte de souveraineté sur l’édifice financier européen serait de nature à sérieusement compromettre notre liberté de choisir le monde dans lequel nous voulons vivre demain.

Car ne nous méprenons pas, dans le monde connecté qui est dorénavant le nôtre, les interdépendances se sont multipliées au sein des organisations sociales comme au sein des entreprises. La mondialisation des échanges associée à l’avènement de l’internet a contribué à transformer les grandes banques en des écosystèmes complexes et de plus en plus déterritorialisés.

Et ces écosystèmes évoluent eux-mêmes dans des « macrosystèmes » structurés par les lois et la réglementation des Etats dans lesquels ils opèrent. Mais ce qui risque de se passer, c’est qu’elles soient demain régies par les contrats qui les lieront à des géants mondiaux en situation de monopole et qui seront ainsi parvenus à imposer leurs propres normes et régulations.

Exercice délicat

Au-delà de la face sombre des risques, et comme toute transformation, celle du secteur bancaire est aussi porteuse de nouvelles opportunités. En effet, et alors que le Royaume-Uni avait imposé sa domination dans les domaines des nouveaux moyens de paiement et du crédit participatif, notamment grâce au passeport européen, la France a aujourd’hui parfaitement les moyens de se positionner sur d’autres aspects de l’évolution du secteur.

C’est ainsi que forte de sa capacité d’innovation, elle est en mesure de s’imposer dans les domaines prometteurs de l’intelligence artificielle, de l’algorithme, de la blockchain et des crypto-monnaies. Encore faudrait-il qu’elle puisse conserver son avance technologique dans ces domaines en protégeant ses champions et en y investissant de façon massive ?

Dans ce contexte, n’est-il pas temps de cesser de considérer le législateur et régulateur comme un allié plutôt qu’arbitre d’une querelle de boutiquiers alors que la déferlante disruptive est en train de prendre forme de l’autre côté de l’Atlantique ? A cet égard, pourquoi le régulateur ne deviendrait-il pas le premier partenaire du secteur pour faire de la régulation un facteur à la fois de protection et d’attractivité ? Les sévères contraintes procurées par notre cadre réglementaire ne peuvent-elles pas elles-mêmes devenir un atout dans la mesure où elles seront lisibles et qu’elles offriront un cadre stable, propice à la création de valeur ?

Il est aujourd’hui clair qu’ici, ni l’idéologie, ni les ressentiments enfouis dans notre subconscient, n’ont leur place tant les enjeux et les défis associés à la transformation du secteur bancaire sont complexes et susceptibles d’engendrer des répercussions majeures, non seulement sur nos économies mais encore sur la souveraineté européenne. C’est donc à un exercice délicat que se livrera le législateur qui devra bientôt définir un cadre adapté à cette nouvelle donne avec le souci à la fois d’encourager l’innovation et de garantir la parfaite sécurité, traçabilité et souveraineté de l’écosystème bancaire français.

Article original sur Les Echos