Mettons la cryptofinance au service de l’économie !
La blockchain est un outil à très fort potentiel pour le système financier. Il serait dommage de s’en priver. Un environnement règlementaire et fiscal pourrait mettre ces nouvelles technologies au service de l’économie.
Dangereux joujou financier pour les uns, monnaie du futur pour les autres, le Bitcoin est sans doute l’une des innovations les plus controversées de ces dernières années. D’abord parce qu’elle est associée au « darknet » et à son lot de transactions illicites facilitant le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Objet de tous les fantasmes, elle est aussi spéculative et volatile et semble échapper à tout contrôle des banques centrales. C’est ainsi que la première monnaie virtuelle mondiale est toujours sujette aux suspicions du secteur bancaire et de nombreux régulateurs à travers le monde en général et en France, en particulier.
Et pourtant, malgré l’instabilité persistante de son marché, la « cryptosphère » dont le Bitcoin n’est qu’un des produits, ne cesse de grandir tant en nombre d’utilisateurs que de transactions. Et rien ne semble vouloir l’arrêter ! Pas mêmes les sommes considérables perdues récemment par d’aussi nombreux qu’imprudents spéculateurs. Selon Juniper Research, la valeur totale des transactions en Bitcoins est passée de 27 milliards de dollars en 2015 à 58 milliards en 2016 et aurait atteint les 270 milliards fin 2017 selon certains analystes. Pas grand chose au regard des 411 000 milliards de dollars de paiements effectués à l’échelle mondiale mais une progression extrêmement rapide, à mesure que grandit son importance à l’ère du paiement instantané et des échanges d’actifs et de devises étrangères, domaines pour lesquels le système financier actuel présente des limites (1).
Le phénomène est d’autant plus spectaculaire que le Bitcoin est loin d’être le seul représentant de la « cryptosphère ». En effet, chaque jour ou presque, une nouvelle cyber-monnaie ou un nouveau « token » (jeton) issu d' »Initial Coin Offering » (ICO), apparaît. Un nouveau mode de financement qui fait actuellement fureur auprès des start-up en mêlant crypto-monnaie et crowdfunding.
L’autorité française de régulation des marchés, l’AMF, s’est tôt saisie du sujet en lançant un processus de consultation publique en vue de parvenir à une régulation équilibrée de ce nouveau mode de financement des entreprises innovantes. De son côté, ne voulant pas « rater le train », le gouvernement français a également manifesté son soutien à cette nouvelle économie décentralisée que promet la »blockchain » et la « crypto-finance » son avatar, avec la volonté déclarée de prendre le leadership en Europe sur ce qui pourrait devenir un des piliers de l’économie numérique. C’est ainsi que, bientôt, la France, après avoir déjà légiféré sur l’émission de titres financiers non côtés via « blockchain », sera , avec Malte, le premier pays européen à se doter d’une législation sur les ICOs, et peut-être sur les plateformes d’échange de crypto-actifs.
Un cadre et une volonté qui, espérons-le, conduira à la mise en place d’une régulation dont l’absence est devenue la seule justification du blocage des flux financiers en crypto-monnaies, privant ainsi les banques françaises, déjà freinées par l’inflation galopante de leurs obligations prudentielles, d’accélérer leur nécessaire et maintenant urgente transformation. En effet, la blockchain, associée à la technologie des « smart contracts » (contrats intelligents), présente un gigantesque potentiel de transformation en permettant l’automatisation et la sécurisation des paiements, transferts de devises, d’actifs et autres transactions financières. Se passer de ce formidable potentiel au prétexte que la blockchain n’offre pas de suffisantes garanties de sécurité et de traçabilité est tout bonnement absurde tant cette technologie offre, par construction, ces garanties à un niveau inégalé. En effet, chaque transaction traitée par une blockchain est consignée dans une base de données décentralisée qu’il est impossible d’altérer. De plus, sa publication dans l’espace public garantit traçabilité et « auditabilité » grâce à des algorithmes restituant l’historique exhaustif de toutes les transactions. Même si ces technologies sont perfectibles et devront de toute évidence encore évoluer, jamais le système financier n’a eu la promesse d’un outil offrant un aussi formidable potentiel permettant de lutter plus efficacement contre la gangrène du blanchiment de capitaux, de l’évasion fiscale, des financements occultes ou encore, de la corruption.
Le contrôle de ces cyber-actifs décentralisés par les banques centrales et des conséquences de leur circulation sur l’actuel système monétaire et financier reste, enfin, une question essentielle qui relance une fois encore, le débat sur la souveraineté numérique des Etats et des institutions de régulation. Ces dernières pourraient bien, ici, se voir priver d’un pan majeur de leur pouvoir économique. Une question cette fois politique qui oblige la France et l’Europe à accélérer dans la mise en œuvre d’un environnement réglementaire et fiscal propre à mettre ces nouvelles technologies au service de l’économie.
(1) Source : Marco Lansati – Karim R.Lakhani – Havard Business Revue – Hors-série LE MUST – Printemps 2018
Article original sur Les Echos