Energie : Stocker la chaleur l’été pour la restituer l’hiver ?

Energie : Stocker la chaleur l’été pour la restituer l’hiver ? 

Jacques Marceau, président d’Aromates
Le 12 mai 2018

Par Jacques MARCEAU, membre du conseil scientifique de l’Institut de la Souveraineté Numérique

Obnubilés que nous sommes par les gaz d’échappement de nos voitures, nous avions presque oublié que le bâtiment engloutit à lui seul 45% de l’énergie consommée de notre pays et est responsable de 27% des émissions de gaz à effet de serre1 dont une grande partie est due à notre consommation d’énergie pour nous chauffer et nous rafraîchir2. Pour palier cette situation, les solutions jusqu’à présent imaginées se bornent à agir sur l’enveloppe du bâtiment alors qu’il est aujourd’hui techniquement possible de stocker la chaleur l’été dans le sol pour la restituer l’hiver, notamment grâce à l’intelligence artificielle. Une technologie non seulement économique et écologique, mais encore favorable à la préservation de notre souveraineté énergétique.

 

En finir avec la pensée unique de la passoire ?

Pour réussir la décarbonation des bâtiments, il faut bien sûr favoriser la construction de bâtiments thermiquement vertueux utilisant des matériaux bio-sourcés, mais aussi limiter l’émission de gaz à effet de serre associés à leur consommation énergétique.

La première et trop souvent unique méthode utilisée en conception comme en rénovation des bâtiments est l’isolation de l’enveloppe. C’est ainsi que depuis des années, les pouvoirs publics encouragent le recours à des procédés, matériaux et technologies, visant à isoler le bâtiment en déployant tout un arsenal de mesures d’encouragement fait de normes, d’avantages fiscaux et autres subventions. Avec une injonction qui fait mouche : « venir à bout des passoires thermiques ! ».

Ravis de cette formule choc et concentrés sur cet objectif, nos politiques et les professionnels du bâtiment ont tendance à oublier qu’il existe un autre levier d’action avec la décarbonation de la production de chaleur ou de froid. Un levier pourtant très efficace tant d’un point de vue économique qu’environnemental qui requiert la mise en œuvre de systèmes énergétiques nativement décarbonés ou, à tout le moins, le plus décarbonés possible, qui consommeront une énergie peu polluante, ce qui est aujourd’hui loin d’être le cas du fioul domestique, du gaz, ou même de l’électricité du réseau. Cette dernière reste en effet une énergie carbonée, en particulier pendant les pics de consommation hivernaux3 pendant lesquels on voit nos bonnes vieilles centrales au fioul et à gaz, quand ce n’est pas au charbon, reprendre du service.

 

Sortir de la doxa du « tout électrochimique » : un enjeu d’efficacité mais aussi de souveraineté !

Dans ce contexte, le développement des Energies Renouvelables (ENR) est une opportunité historique à condition de palier leur intermittence grâce à des solutions de stockage adaptées et qui devront bien entendu être elles-mêmes économiques et peu émettrices de carbone.

Alors que l’engouement déclenché par Elon Musk pour les processus d’autoproduction et d’autoconsommation électrique couplant batterie lithium ion et production photovoltaïque sature l’espace médiatique et que l’on nous promet des performances à la hausse et des prix à la baisse, on oublie des questions simples mais essentielles comme le bilan carbone de ces processus et en particulier le coût économique et écologique de la production puis du recyclage des batteries ou celles des terres rares nécessaires à leur fabrication. Coût auquel il conviendra bientôt d’ajouter celui des risques de conflits associés à la prévisible pénurie des métaux critiques4.

A ce propos, n’est-il pas absurde, comme le souligne Guillaume Pitron dans « La guerre des métaux rares5», de « basculer à marche forcée d’un système où nous avions la sécurité des approvisionnements avec le pétrole, vers un monde où nous dépendons complètement des Chinois pour les métaux rares ? ».

Et surtout, pourquoi cette attention exclusive sur le stockage de l’électricité lorsque l’on sait que la principale source d’émission de CO2 par les bâtiments provient du chauffage et du refroidissement ?

Il semble donc urgent de sortir de la doxa du stockage électrochimique et d’envisager le stockage de l’énergie sous une autre forme que celle poussée par les industriels chinois et américains.

 

Le stockage thermique : une solution efficace et rentable grâce à … l’intelligence artificielle !

Au-delà du stockage de l’électricité pourquoi ne pas mettre en œuvre le stockage direct du froid ou de la chaleur produits par les ENR pour gommer leur intermittence et augmenter leur taux de couverture des besoins du bâtiment ? Transformer les surproductions photovoltaïques et éoliennes sous forme de chaleur pour permettre un stockage à la fois plus efficient et plus écologique ?

Des questions auxquelles des chercheurs européens travaillent depuis plusieurs années et dont le résultat des travaux se transforme aujourd’hui en innovations chez quelques industriels européens comme l’allemand Viessmann qui propose des solutions innovantes de stockage court terme de la chaleur, le français Vinci-Eurovia qui imagine transformer les routes en unités de stockage de chaleur ou la start-up Accenta qui a mis au point avec le Centre d’Efficacité Energétique des Systèmes (CES) d’ARMINES et l’appui du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), une intelligence artificielle destinée à maximiser la production, le stockage dans le sol et la distribution de la chaleur au sein d’un bâtiment. Ici pas d’utilisation de terres rares, de très faibles émissions de CO2 et des durées de vie jusqu’à présent inégalées comme l’a souligné très récemment le rapport6 de l’Alliance Nationale de Coordination de la Recherche (ANCRE). Un domaine d’application de l’IA qui révèle toute la puissance de transformation qu’elle recèle en permettant de tirer profit des choses les plus simples comme l’utilisation de l’inertie thermique de la terre.

Un domaine qui nous rappelle aussi la nécessité pour la France de conquérir sa souveraineté sur l’IA, les algorithmes qui en assurent le fonctionnement et les données qui l’alimentent.

Notre indépendance énergétique et le succès de notre stratégie de transition écologique sont dorénavant à ce prix.

 

Article original sur Le Monde