L’homme augmenté, c’est celui qui a la foi !

L’homme augmenté, c’est celui qui a la foi ! Jacques Marceau, président d’Aromates, membre du think-tank Futur numérique de l’Institut Mines-Télécom

Jacques Marceau, président d’Aromates
30 septembre 2015

Rétine et cœur artificiels, implants cérébraux, membres bioniques,… il ne se passe pas un jour sans que les médias ne nous informent sur les progrès fulgurants de la science et en particulier des NBIC (Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives), qui couvrent des domaines toujours plus larges, de la thérapie génique à l’hybridation électronique, en passant par l’intelligence artificielle.

Certains nous prédisent que les enfants qui naissent aujourd’hui pourront vivre 1 000 ans. Ou plus. Pendant que d’autres, comme Google, ont déjà créé des entreprises pour se positionner sur ce prometteur marché de la vie éternelle.

C’est ainsi, prévient Laurent Alexandre, que l’on passe en ce moment « d’une médecine qui voulait réparer le corps à une médecine contaminée par le transhumanisme dont le but est de repousser la mort » (1).

L’homme augmenté est donc aujourd’hui à notre porte, projet de l’ingénieur et de l’entrepreneur et non plus produit de l’évolution ou d’un bricolage de la nature au sens de Lévi-Strauss.

Mais peut-on reprocher à l’homme son projet de dominer la nature ? Dieu, lui-même, ne l’y a-t-il pas formellement invité ? Et d’ailleurs, cette propension humaine à se perfectionner ne fait-elle pas partie des plans de la nature comme nous l’enseigne Charles Darwin: « Chaque être, et c’est là le but final du progrès, tend à se perfectionner de plus en plus relativement aux conditions. Ce perfectionnement conduit inévitablement au progrès graduel de l’organisation du plus grand nombre des êtres vivants du monde entier » (2).

Le problème est peut-être dans cette question du « plus grand nombre » évoqué par Darwin.

Car qui, dans un monde où plus d’un milliard d’individus vivent en dessous du seuil d’extrême pauvreté et des centaines de millions d’autres n’ont pas accès aux soins les plus élémentaires, aura accès à ces avancées médicales?

N’y aura-t-il que les riches qui vaincront la mort ? Voici un nouveau et peut-être ultime combat entre la science et la religion: la vie éternelle que promettent les Écritures, les solutionnistes de la Silicon Valley seront-ils capables de nous l’offrir, ou plutôt de nous la vendre, en faisant de l’homme une machine connectée ? À qui, à quoi ? Sûrement pas à l’univers et à la nature.

Paradoxale, voire cynique, cette promesse de vie éternelle, qui arrive au moment même où la perte de spiritualité et la vacuité qu’elle engendre dans les esprits, est sans doute l’une des causes de la résurgence des fondamentalismes religieux les plus archaïques. Et où ceux qui ne veulent plus, consciemment ou inconsciemment de la vie sont toujours plus nombreux. Et justement dans nos pays développés. En témoigne la véritable épidémie de suicides, dépressions et autres troubles mentaux morbides qui y sévit. Dans ce contexte de souffrance et de déshérence, la perspective offerte par le transhumanisme d’une vie rallongée et d’un corps réparé à l’infini apparaît bien dérisoire.

Mais au-delà de la caricature, la tentative transhumaniste recèle, comme toute démarche scientifique, sa part d’espoir et de progrès. Qui n’a jamais visité un service de cancérologie et connu la douleur et le désespoir d’un proche malade, ne peut refuser une démarche qui, même motivée par une contestable ambition prométhéenne, ne manquera pas d’ouvrir de nouveaux possibles et d’apporter de nouvelles solutions thérapeutiques qui seront autant d’espérance et de victoires sur la souffrance et le malheur.

La question n’est donc pas d’être pour ou contre la tentative transhumaniste ni de l’accepter ou de le combattre. Après tout, et même si cette « médecine » est réservée aux riches, n’est-ce pas une louable et généreuse façon de dépenser sa fortune que de tenter l’expérience de la vie prolongée grâce à des artifices technologiques ? Et non plus ici au péril de sa vie mais à celui de sa mort ?

La vraie question, et pour chacun d’entre nous, est en fin de compte celle du sens que l’on donne à ses épreuves et à ses souffrances, au chemin et à la quête que représente notre vie.

Car nous avons aussi le choix de nous transformer nous-même, par la force de notre esprit et par la foi. Celle qui console, guérit et fait déplacer les montagnes.

Face à la croissance exponentielle des avancées scientifiques et technologiques et à l’aseptisation du monde à laquelle elle nous conduit, il est grand temps de réenchanter nos vies. Car ce n’est pas en repoussant le progrès, mais en réintroduisant le merveilleux dans notre quotidien et l’espérance qu’il porte que nous pourrons vivre en libres et heureux mortels dans le monde qui vient.

 

(1) Les Échos du mardi 7 avril 2015. (2) Charles Darwin, L’Origine des espèces, traduction E. Barbier, p. 133.

Article original sur La Croix