Le médicament dangereux, c’est d’abord celui qu’on ne prend pas

Le médicament dangereux, c’est d’abord celui qu’on ne prend pas

Jacques Marceau, président d’Aromates
11 novembre 2013

Jusqu’il n’y a pas très longtemps, le médicament était, dans l’esprit du public, l’un des symboles les plus patents du progrès et de la modernité. Chaque maladie devait trouver sa réponse thérapeutique. Simple, facile et si possible, bon marché.

Ce rapport que les Français ont entretenu pendant plusieurs décennies avec les médicaments a sans doute contribué à faire de la France le champion du monde de la consommation de ces derniers.

Comme souvent quand la passion est immodérée, le rejet ou la défiance qui la suivent le sont tout autant. Les affaires Médiator, Vioxx, et autres désastres sanitaires sont venus nous rappeler que le médicament n’était pas sans risque et que leur utilisation devait être strictement encadrée par des professionnels de santé éthiques, compétents et respectueux des protocoles thérapeutiques.

Les affaires en questions ont également permis aux théoriciens du complot mondial et autres médecins ou politiques en mal de visibilité de publier des articles et ouvrages à sensation sur le caractère à la fois inefficace et dangereux de la plupart des médicaments existants sur le marché.

L’INOBSERVANCE, FORME LA PLUS RÉPANDUE ET LA PLUS ANCIENNE DU MÉSUSAGE

Le drame humain occasionné par ces affaires en cache aujourd’hui un autre et qui trouve peut-être, un peu, l’origine de son explosion dans le premier. Un sorte d’effet rebond lui aussi porteur de mauvaises nouvelles.

Cet effet porte le nom d’inobservance, un mot qui qualifie un comportement qui consiste à suivre mal, ou à ne pas suivre du tout, son traitement. Comportement qui n’est cependant pas récent puisque Hippocrate avait déjà mentionné que « les malades mentent souvent lorsqu’ils disent qu’ils prennent leurs médicaments »(Bienséances, Hippocrate, chapitre 14).

Selon la définition de l’OMS, l’observance est le degré de concordance entre le comportement d’une personne et les recommandations d’un professionnel de santé. Elle ne se réduit pas à la prise d’un médicament respectueuse de la prescription du médecin mais intègre aussi le respect des règles hygiéno-diététiques comme par exemple l’alimentation, l’arrêt du tabac et l’activité physique.

Toujours selon l’OMS, et preuve que l’organisation prend la question très au sérieux,  » l’amélioration de l’observance aurait plus d’impact que n’importe quelle amélioration des traitements médicaux « .

En France, l’inobservance concernerait près de la moitié des patients atteints de maladies chroniques dont le nombre ne cesse d’augmenter, et l’on estime son coût à 2 milliards d’euros par an, les journées d’hospitalisation induites à un million et les décès à 8 000 !

L’inobservance apparaît ainsi comme la forme de mésusage la plus dangereuse et la plus répandue : des personnes âgées qui se trompent de posologie, des patients greffés qui ne prennent pas leurs anti-rejets, des diabétiques qui oublient leurs traitements… sans compter le refus du traitement pour des raisons culturelles ou de croyances.

En effet, dans 70% des cas, l’inobservance ne serait pas due à des oublis mais bien à une décision volontaire du patient, y compris pour les pathologies les plus graves pour lesquelles le non-respect du traitement prescrit engendre un danger de mort.

Au-delà de ses dramatiques répercussions à l’échelon individuel dans de nombreuses situations, l’inobservance en engendre d’autres et, comme le rappelait le professeur Gérard Reach à l’occasion du Carrefour de l’Observance 2013 (Carrefour de l’Observance, Gérard Reach, 2013) :  » à l’échelon de la population, comme par exemple en pathologie infectieuse où la mauvaise observance peut conduire à la sélection de souches résistantes « .

Préoccupant, non ?

LE DÉFI DU PASSAGE DE L’ACTE À L’ACCOMPAGNEMENT

Les progrès de la médecine ont transformé de nombreuses maladies engendrant rapidement la mort, en maladies chroniques. Cette transformation induit un nombre toujours plus grand de  » patient chroniques  » qui, pour rester en bonne santé, doivent adhérer à un nouveau style de vie le plus souvent assorti d’un traitement médical au long cours.

Cette nouvelle donne invite le patient à modifier son rapport à la maladie et le positionne différemment dans la chaîne du soin en lui conférant un rôle d’acteur de sa propre santé.

Et c’est précisément là que tout change ! Le patient, celui qui  » souffre  » et  » endure  » comme l’exprime l’étymologie latine du mot, doit se muer en  » actient « , acteur de sa guérison et de sa santé.

La publication en octobre 2013 par Syntec Numérique – BVA du baromètre sur les services d’e-santé atteste de ces changements de comportement en indiquant que 83 % des Français souhaitent pouvoir être en contact via leurs smartphones avec l’équipe soignante chargée du suivi d’une maladie chronique et 82 % d’entre eux lorsqu’il s’agit d’un suivi post-opératoire.

Dans ce nouveau contexte, le médecin, celui qui accompagne et prend soin, doit se substituer au docteur, celui qui sait et qui ordonne. Une différence qui semble subtile mais qui souligne toute la difficulté de la migration d’une médecine basée sur l’acte, à celle que l’on pourrait qualifier de  » collaborative «  basée sur l’accompagnement et le dialogue.

Une migration qui n’est aussi pas sans conséquence sur le modèle économique de l’industrie pharmaceutique qui jusqu’à présent était lui aussi basé sur le paradigme de l’acte avec la prescription d’un médicament, absorbé et métabolisé par le patient.

DE L’INDUSTRIE DU MÉDICAMENT AU SERVICE DE SANTÉ

Grâce à son  » smartphone  » ou autre  » companion device « , le patient peut être connecté en permanence avec son équipe soignante et recevoir tout type d’informations, n’importe quand et n’importe où. Ces nouveaux outils de communication autorisent également un monitoring des données biomédicales du patient, suivies et analysées en temps réel et à distance.

Elles permettent également une relation à distance, mais intime, avec son médecin traitant ou un  » coach thérapeutique « , dont la mission sera l’accompagnement du patient tout au long de son traitement. Une approche née au Etats Unis, promue et dispensée par des assureurs qui ont, et depuis longtemps, fait le constat du coût exorbitant de l’inobservance.

L’efficacité de ce suivi à distance vient également d’être soulignée par une étude publiée en septembre 2013 par le cabinet Price Waterhouse Cooper (PWC), et qui estime à 11,5 milliards d’euros le montant des économies qui pourraient être réalisées d’ici à 2017 dans les dépenses de santé françaises et 99 milliards dans l’Union européenne !

Une manne inespérée et qui ne devrait pas laisser indifférent le gouvernement français qui, à l’occasion de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2014, a exprimé son souhait de réduire de 3,4 milliards d’euros le déficit de la sécurité sociale d’ici la fin de l’année prochaine. Sans trop savoir où les trouver…

Acteurs majeurs du soin, les industriels du médicament ne manquent pas d’être impactés par ces phénomènes et auront un rôle majeur à jouer dans ces évolutions. En effet, et peu à peu, le médicament tend à perdre son statut de composante dominante, voire unique, des soins, pour devenir une réponse ciblée à une pathologie, dans un contexte et pour un patient donné. Réponse qui sera, le plus souvent, intégrée dans une « solution thérapeutique » adaptée à chaque individu, à son terrain et à son environnement.

Au plan industriel, la valeur de l’offre de soins sera en conséquence davantage associée à la solution qu’à ses composantes, comme cela est par exemple déjà le cas dans l’informatique. Ainsi, et dans le domaine de l’offre de soins, la valeur se déplacera vers la mise en relation, ou en réseau, des différentes composantes d’une solution thérapeutique, et ne résidera plus uniquement dans la propriété inaliénable de l’une d’entre elles : la molécule.

Cette nouvelle approche ( » Laboratoires pharmaceutiques : innovez, cherchez ailleurs « , par Jacques Marceau, Les Echos, 3 janvier 2008), que l’on pourrait qualifier de systémique, a aujourd’hui des conséquences lourdes sur la stratégie des laboratoires qui sont d’ores-et-déjà amenés à chercher des partenariats et des alliances avec d’autres producteurs de biens ou de services, notamment numériques.

Ils devront, en particulier, investir dans des programmes d’éducation des patients et d’observance. Un défi qu’il sera difficile de relever dans un cadre réglementaire trop contraignant, aggravé par le climat de défiance qui semble persister et qui se révèlera vite être un obstacle à l’équilibre des comptes de l’assurance maladie et à la modernisation de notre système de santé.

Article original sur Le Monde