Voter une loi sur l’économie circulaire, c’est acter la faillite de la modernité !

Voter une loi sur l’économie circulaire, c’est acter la faillite de la modernité !

Jacques Marceau, président d’Aromates
20 août 2019

Inconnue d’une majorité de Français il y encore quelques mois, confinée dans le secteur de l’économie sociale et solidaire ou considérée comme une utopie écolo-bobo-végan par les autres, l’économie circulaire fera son entrée par la grande porte et dans la vraie vie dans les prochains mois avec la discussion au parlement, puis le vote, d’une loi éponyme. Cependant, et même si le symbole est fort, une loi ne suffira pas à susciter les changements urgents et profonds qu’il convient d’opérer, pas seulement sur le plan économique, mais aussi et surtout politique et culturel s’agissant, ni plus, ni moins, de transformer notre rapport au monde et de refermer la parenthèse de la modernité.

 

Nous avons vécu le « temps des objets » décrit par Baudrillard ; ce temps moderne qui nous invitait à vivre « à leur rythme et selon leur succession incessante ».

Ce temps où l’objet était un déchet en devenir, un produit dont la déchéance était prévue quand elle n’était pas purement et simplement programmée ;

Ce temps où la valeur procédait de la transformation de matières premières abondantes par une main d’œuvre peu qualifiée et dans un contexte d’énergie bon marché ;

Ce temps où la prospérité d’un pays se mesurait par son volume de production de biens manufacturés et la consommation de ses ménages ;

Ce temps de l’économie moderne, dont les performances s’évaluaient non plus sur ce qu’elle créait mais sur ce qu’elle détruisait et où le consommateur était qualifié de « destructeur final » ;

Car dans nos sociétés occidentales modernes, le progrès consistait à extraire l’homme de la nature, à l’exonérer de ses contraintes et de ses lois, jusqu’à celle de la mort dans la tentative (illusion ?) transhumaniste. Progrès décrit par Maffesoli dans son Ecosophie comme une « Illusion productiviste conduisant à croire que l’homme se produit lui-même, tout comme il est censé produire la nature. L’homme avatar de la déité en quelque sorte ».

Cette vision moderniste du progrès et les dégâts qu’elle a occasionné à la nature pose aujourd’hui la question de la civilisation et de son évolution. En effet, en confondant bien-être et pouvoir d’achat, plénitude et possession, degré de civilisation et niveau de vie, nous avons fini par admettre, comme une évidence, qu’une société développée est celle dont le PIB et la consommation des ménages est non seulement élevée mais encore en croissance. Car seule la croissance et son accélération sont devenues, ce qui semble être un paradoxe, un facteur de stabilité économique. Un phénomène décrit par Hartmunt Rosa, comme « une approche spécifique du monde moderne » et qu’il qualifie de « stabilisation dynamique » que la métaphore de la bicyclette illustre parfaitement : « Si tu t’arrêtes, tu tombes ! ».

Cependant, on observe facilement que le temps de toute accélération est très limité, d’une part à cause des ressources considérables qu’il requiert, d’autre part du fait des lois de la physique limitant la capacité d’un objet à dépasser certaines vitesses au delà desquelles, il chute ou explose…

Notre société moderne est ainsi devenue productrice d’un nombre toujours plus grand d’objets appelés, et ce n’est pas un hasard, « biens de consommation ». Une production qui consomme énormément d’énergie et de matières premières et qu’il convient de stimuler en permanence par le marketing pour en maintenir la dynamique de croissance.

Visionnaire et dès 1935, alors que le développement industriel de l’époque ne posait de question à personne et le marketing en était à ses balbutiements, Paul Valéry écrivait : « Notre monde moderne est tout occupé de l’exploitation toujours plus efficace, plus approfondie, des énergies naturelles. Non seulement il les recherche et les dépense, pour satisfaire aux nécessités éternelles de la vie, mais il les prodigue, et il s’excite à les prodiguer au point de créer de toutes pièces des besoins inédits, à partir des moyens de contenter ces besoins qui n’existaient pas. Tout se passe dans notre état de civilisation industrielle comme si, ayant inventé quelque substance, on inventait, d’après ses propriétés, une maladie qu’elle guérisse, une soif qu’elle puise apaiser, une douleur qu’elle abolisse. On nous inocule donc, pour des fins d’enrichissement, des goûts et des désirs qui n’ont pas de racine dans notre vie physiologique profonde, mais qui résultent d’excitations psychiques ou sensorielles délibérément infligées. » En d’autres termes, et de façon plus actuelle « on nous inflige des désirs qui nous affligent et on nous fait croire que le bonheur c’est d’avoir des avoirs plein nos armoires… » comme le chante Alain Souchon.

Alors, face à ce constat, est-ce un oxymore que de parler de « civilisation industrielle »?

Et d’ailleurs, par le désastre écologique qu’elle occasionne, la société industrielle n’est-elle pas la pire ennemie de la civilisation dans l’acception première du terme qui est un degré élevé d’évolution de l’espèce humaine ?

Etre dans l’incapacité de gérer ses déchets, et plus généralement les conséquences de ses activités sur la nature au point de courir le risque d’en être exclu, n’est-ce pas le signe d’un défaut majeur de l’évolution humaine ?

Si, devant ces enjeux, l’option de la décroissance fait figure d’évidence, Artmunt Rosa, nous avertit : « qui cherche dépasser le mode moderne de stabilisation dynamique dans le sens d’une désactivation de la croissance et de l’accélération comme impératifs structurels de reproduction ne pourra pas se contenter de simples réformes économiques ou politiques : il devra nécessairement en passer par la transformation de sa relation sociale au monde (…) Un autre type d’être-dans-le-monde est possible, mais il ne pourra résulter que d’une révolution politique, économique et culturelle à la fois simultanée et concertée ».

Aussi, l’économie circulaire n’est ni une mode, ni un argument marketing, ni même une option politique : elle est une révolution dans son sens premier, revolvere : qui nous appelle à « revenir à… ». Mais une révolution indispensable à la poursuite, (ailleurs que sur Mars…), de l’aventure humaine !

Retour à la raison d’une humanité victime d’un rapport au monde dévoyé par son égo pour se soumettre, tel le fils prodigue, aux lois de la nature.

Car l’économie circulaire n’est pas non plus une invention issue du génie humain mais une imitation des cycles et lois de la nature pour les appliquer à l’économie.

Voter une loi sur l’économie circulaire comme s’apprête à le faire le parlement français, marque non seulement la volonté d’en finir avec une économie fondée sur l’exploitation de la ressource mais encore la volonté de clore une parenthèse unique dans l’histoire de l’humanité où, au paroxysme de sa modernité, l’homme a cru pouvoir non seulement la dominer et exploiter, mais encore surpasser nature.

Article original dans La Croix