Santé : Pas de place pour la prévention dans une économie de marché ?

Santé : pas de place pour la prévention dans une économie de marché ?

Jacques Marceau, président d’Aromates, expert santé à la Fondation Concorde
Publié le 18 mars 2019

Alors que le bon sens populaire nous enseigne que « mieux vaut prévenir que guérir », l’économie de marché nous amène au constat exactement inverse. Un paradoxe qui tient au modèle consumériste de la pharmacie, issue de l’époque industrielle, et basé sur la vente de produits sous brevet qui procurent une rente aux entreprises qui les détiennent. Un modèle longtemps vertueux dans le sens où il a permis le financement de la recherche et la mise à disposition de la médecine d’une multitude de médicaments qui ont permis de soigner, voire éradiquer, une foule de maladies et guérir des millions de personnes. Mais voilà, comme dans la plupart des secteurs de l’économie, le modèle industrialo-consumériste qui a prévalu pendant les 70 dernières années s’essouffle et montre aujourd’hui clairement ses limites dont l’un des symptômes le plus frappant est la course folle à l’innovation dans les domaines « les plus porteurs » comme l’oncologie. En effet, sur ce marché évalué à 150 milliards de dollars d’ici 2022(1) et le plus convoité par les grands laboratoires pharmaceutiques, la guerre fait rage pour racheter à prix d’or de prometteuses biotechs qui détiennent les brevets de produits tout aussi prometteurs. En témoigne les dernières acquisitions faramineuses, comme celle de Celgene (Etats-Unis) par BMS (Etats-Unis) pour 74 milliards de dollars et de Shire (Royaume-Uni) par Takeda (Japon) pour 81,7 milliards de dollars(2) . Résultant principalement de la tendance actuelle des laboratoires à l’externalisation de l’innovation, cette financiarisation du secteur de la pharmacie n’est bien entendu pas étrangère à l’actuelle explosion du prix de vente de certains traitements innovants (comme les CAR-T-Cell), d’autant plus que ces derniers s’adressent à des marchés cibles de plus en plus réduits en raison de leur personnalisation.

C’est ainsi qu’il devient urgent, en particulier pour les organismes payeurs mais aussi pour l’Etat, de sortir de cette spirale inflationniste qui ne permettra plus de garantir, et à court terme, le principe d’égalité d’accès aux soins auquel les Français sont très attachés et qui est devenu l’un des piliers de la cohésion sociale. De surcroît, dans un contexte

d’explosion du nombre d’allergies, d’affections dégénératives, de cancers, de troubles psychiques, etc. associés à l’augmentation de la pollution de l’air et de l’eau, d’alimentation dénaturée, de régimes déséquilibrés mais également au stress et à l’anxiété ambiante d’une société dont l’organisation désadapte l’humain des lois qui président à son fonctionnement et à celui de la nature(3) .

S’il semble évident que la meilleure des choses à faire est de ne pas tomber malade et que la voie de la prévention est l’option la plus crédible pour y parvenir, force est de constater qu’elle a, dans nos sociétés dominées par l’économie de marché, du mal à se hisser à la hauteur des enjeux. Car si la pharmacie moderne a pu se développer sur la base d’un modèle économique robuste, cela est loin d’être le cas de la prévention. En effet, la prévention ne vend rien, ou presque, ne coûte rien, ou presque, et ne rapporte rien d’autre que de potentielles économies. Ainsi, quel investisseur serait assez fou pour mettre de l’argent dans quelque chose qui ne rapporte rien … que des économies ?

Programmes de coaching nutritionnel, abonnements dans une salle de gym ou autres compléments alimentaires ne rivaliseront en effet jamais avec les volumes d’affaires et les espérances de gain que procure l’investissement dans le développement de produits pharmaceutiques innovants.

Dans un monde où tout devient monétisé et financiarisé, où les performances économiques, le pouvoir d’achat et l’emploi sont devenus la finalité de toute action politique, il n’y a plus beaucoup de place pour la préservation de la nature et des espèces, dont la nôtre…

Ainsi, ce ne sera que sur une prise de conscience collective relayée par les Etats, comme celle qui est en train de s’opérer sur le climat, que pourra avancer la cause du respect du corps et le véritable développement de ce l’on appelle outre-atlantique le « care » pour transformer ce qui n’est encore qu’un système de soins en un véritable système de santé.

  • Source Datamonitor Healthcare citée dans le Figaro du 15 janvier 2019
  • Ibid
  • Docteur Jean-claude LAPRAZ, GSN N°9 Phytothérapie et hormones – Février 2019

Article original publié dans Le Monde sous le titre « Santé : « mieux vaut prévenir que guérir »… sauf dans une économie de marché »